Avec ses saxophones baryton et ténor, Silvia Ribeiro Ferreira a livré un premier album jazz sensible et atypique. En Haute-Vienne, elle esquisse un projet musical qui mêle l’exploration intime à une musique métissée.
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Jean-Michel Leygonie, le directeur de Laborie Jazz, le label qui la produit, avait prévenu : « Elle est comme la plupart de nos artistes : très concentrée sur son art et très réservée dans la vie. Elle fait passer ses sentiments avant tout dans sa musique. » Souriante, Silvia Ribeiro Ferreira reçoit sans façon dans le bureau des profs de l’harmonie musicale de Limoges. Son premier album est tout récent, mais il ne lui a certainement pas tourné la tête.
© Alexandre Dupeyron
Silvia Ribeiro Ferreira explique ses choix, ses morceaux, sa façon de faire du jazz et de composer sans en faire toute une affaire et avec le ton de ceux qui n’ont pas tant l’habitude que ça de s’exposer. Mais derrière la voix douce hésitante et les phrases qui restent parfois en suspens, une personnalité bien campée se laisse deviner. « J’ai bien les pieds sur terre », n’hésite-t-elle pas à dire d’elle-même.
Le déclic jazz
La musicienne déroule son parcours sans fard : « Fac de lettres, sciences de l’éducation, un IUT… Je me suis cherchée », confesse-t-elle. « À côté, je donnais des cours de musique dans des écoles de musique de la région et j’ai joué dans pas mal de formations. » Le déclic jazz lui vient avec le Collectif 129, un big band qu’elle fréquente depuis quelques années. « Ça m’a donné envie d’aller plus loin dans l’impro. »
La musique ? Elle y est venue « toute petite », répond-elle. « Mon père a appris l’accordéon tout seul. Puis mon grand frère s’y est mis. Il y a toujours eu de la musique à la maison. » À 11 ans, après l’école de musique, elle entre au conservatoire. « C’est le saxophone qui m’a choisie. » Des trois instruments qu’elle demande, c’est le seul dont la classe n’est pas complète. « Je ne regrette pas ! », plaisante-t-elle.
Atypique saxophone baryton
Silvia Ribeiro Ferreira parle de ses instruments comme de belles rencontres. Pour l’album, elle a retenu le sax ténor et l’atypique saxophone baryton, un instrument massif qui dépasse les cinq kilos. « J’adore cette masse sonore qui m’enveloppe. C’est un instrument profond plein de possibilités. » En soliste, le registre des interprètes reste confidentiel, encore plus chez les femmes. « C’est vrai qu’il y a une difficulté à aller chercher des notes graves. C’est très physique, encore plus avec mon sax, qui est ancien. »
Son Selmer Mark VI est une icône chez les pros. « Je l’ai choisi pour sa patte sonore. » L’instrument est sorti tout droit des années 1950. « Il a un vrai caractère, pas toujours facile, mais son timbre est chaud et rond. On ne retrouve plus ce grain dans les instruments modernes. »
Un album un peu par hasard
Aujourd’hui, Silvia Ribeiro Ferreira codirige l’école de musique de Noblat avec 170 élèves et donne des cours à Limoges dans une petite école. À tous, elle donne beaucoup. « Mes élèves m’apportent énormément. Dès tout-petits, à l’éveil musical, j’ai un véritable échange avec eux. »
L’aventure de l’album est arrivée un peu par hasard. C’est à la fin d’un concert que Jean-Michel Leygonie vient la voir et lui demande de but en blanc : « Est-ce que tu as un projet personnel ? » « À l’époque, je travaillais en quartet avec des compositions originales, registre électro. L’utilisation des pédales d’effet me plaisait énormément ; la recherche de nouvelles sonorités, se rapprochant de la guitare électrique, dans un registre plus actuel. »
« Mon but, c’est avant tout de transmettre l’émotion, la sincérité. »
Ce que Jean-Michel Leygonie écoute lui plaît. Il lui propose de faire un album. « Je me suis lancée à fond. » Le premier morceau, elle l’a déjà, c’est Novrep République. « Je l’avais écrit au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. J’étais tellement choquée. J’ai composé cette mélodie au piano. C’est venu tout seul. » Le morceau commence nostalgique et un peu langoureux puis dérape avec une ligne d’électro dissonante. Le sax s’échappe lui aussi et devient fou, pour récupérer enfin le thème principal, triste et fatigué.
Nostalgie du Portugal
© A.D.
Ce mode de composition devient une récurrence sur l’album et lui permet d’enchaîner les morceaux. « J’en ai vraiment besoin pour exprimer ce que je ressens. » Ainsi, Bicêtre, un morceau écrit avant une hospitalisation de son fils, « est sorti direct ». Viasil évoque avec pudeur une cousine malade. Exilio a été écrit avec l’image de sa mère arrivant seule de Porto avec sa valise un soir à la gare de Bordeaux.
Paysage intime de son vécu, le Portugal est une nostalgie présente tout au long de l’album et le fado n’est jamais loin. « Mes parents étaient des travailleurs agricoles dans un petit village au sud-est de Porto. Ils ont toujours pensé que nous reviendrions y vivre. Mais bien sûr, ce n’est jamais arrivé. » Habitée par son passé et la sensibilité à fleur d’instrument, Silvia Ribeiro Ferreira ne livre pas un jazz conventionnel.
Si le premier album vient beaucoup du Portugal, le second ira jusqu’en Afrique. C’était le sens de sa dernière résidence au Rocher de Palmer à Cenon, en Gironde, en juin dernier. Elle y a rencontré Ablaye Cissoko, grand compositeur et joueur de kora sénégalais. « Sa musique est magique, très simple, très vraie, proche de ses racines », très proche de ces nouvelles sonorités que Silvia Ribeiro Ferreira désire explorer. Et se dessine le projet de la musicienne : « Mon but, c’est avant tout de transmettre l’émotion, la sincérité. »
Ses dates clés
- 1978 : Naissance à Limoges
- 1989 : Entrée au conservatoire
- 2009 : Commence à jouer avec le big band Collectif 129
- 2011 : Obtient le diplôme d’État d'assistant d’enseignement artistique
- 2018 : Premier album avec Laborie Jazz