Pauline Kergomard n’est certes pas la plus connue des grandes personnalités de Nouvelle-Aquitaine. Cette ardente pédagogue mériterait pourtant d’être redécouverte, tant elle fait figure de pionnière dans son domaine, celui de l’éducation des tout-petits. Bien avant l’Italienne Maria Montessori, la Bordelaise Pauline Kergomard née Reclus a affirmé avec force que les enfants étaient des individus à part entière.
Née le 24 avril 1838 à Bordeaux, Pauline voit le jour au sein de la famille Reclus, implantée dans le Sud-Ouest au moins depuis le XIIIe siècle, et convertie au protestantisme trois siècles plus tard. Ces valeurs protestantes, faites de tolérance et d’attachement à la liberté, Pauline va les porter avec fierté tout au long de sa vie.
Une jeunesse studieuse
Issue d’un milieu qui encourage la lecture et l’étude, y compris chez les filles, Pauline Reclus décroche brillamment en 1856 le brevet supérieur qui lui permet d’embrasser la profession d’institutrice. Mais Pauline partage les engagements politiques des Reclus, qui sont de farouches républicains, et refuse de prêter serment à l’empereur Napoléon III : plutôt que d’enseigner dans une école publique, elle s’emploie comme préceptrice pour les rejetons des familles protestantes aisées de Bordeaux. C’est à cette occasion qu’elle fait une rencontre qui se révèle déterminante : celle du pasteur Charles-Marie-Athanase Pellissier, que Pauline considère bientôt comme un véritable père spirituel. Auprès de Pellissier, la jeune femme peaufine les théories éducatives qu’elle mettra en œuvre une vingtaine d’années plus tard, parachevant ainsi auprès du pasteur sa formation intellectuelle.
Une vocation de pédagogue
Mariée en 1863 à Jules Kergomard, un aristocrate déchu qui se veut poète, et rapidement mère de deux enfants, Pauline comprend très vite qu’il ne faut pas compter sur son dilettante de mari pour faire bouillir la marmite. A la fin des années 1860, elle reprend son métier d’institutrice, et commence à s’intéresser spécifiquement à la petite enfance, et notamment à ces « salles d’asile » où on trouve alors les enfants de 2 à 7 ans, qui n’ont pas encore l’âge d’entrer à l’école primaire. Depuis leur création au début du XIXe siècle, les salles d’asile ont entamé une mutation qui va être parachevée au début de la Troisième République : d’abord simples garderies destinées à accueillir les rejetons des classes laborieuses, elles sont devenues progressivement de véritables écoles où l’on commence à se préoccuper d’éveiller les tout-petits au monde qui les entoure. A partir des années 1880, c’est sous l’égide de Pauline Kergomard que le tout nouveau régime républicain va s’attacher à parachever cette évolution.
La création des « écoles maternelles »
Dans les années 1860, Pauline Kergomard s’est constitué un réseau républicain qui lui permet d’intégrer les hautes sphères du régime de la Troisième République. La jeune femme est proche en particulier du philosophe, éducateur et homme politique Ferdinand Buisson, qui est comme elle un protestant libéral et qui va l’introduire au sein du ministère de l’Instruction publique. Dès sa nomination à la direction de l’Enseignement primaire en 1879, Buisson appelle Pauline auprès de lui : il la nomme au poste de déléguée générale de l’inspection des salles d’asile, chargée de veiller au bon fonctionnement de ces établissements qui accueillent alors près de 700 000 enfants âgés de 3 à 6 ans.
Sous l’égide de Pauline Kergomard, de nouveaux principes pédagogiques sont adoptés, symbolisés par le décret du 2 août 1881 qui transforme les salles d’asiles en « écoles maternelles ». Il ne s’agit pas là seulement d’un changement de terminologie, mais d’une véritable mutation ontologique : il n’est plus question de garderies, mais de véritables écoles où sera dispensé un enseignement spécifique, destiné à éveiller le corps et l’esprit des très jeunes enfants.
Une centaine d’écoles éponymes
Par ses inspections régulières et les conseils inlassablement prodigués à ses jeunes collègues, Pauline Kergomard va s’attacher, pendant plusieurs décennies, à édifier un lieu d’accueil optimal pour les jeunes enfants de 2 à 7 ans, tout en développant une pédagogie nouvelle fondée sur la reconnaissance de la personnalité des tout-petits.
Si son action paraît aujourd’hui oubliée, son œuvre lui a survécu. Plus d’une centaine d’écoles maternelles disséminées sur l’ensemble du territoire français ont été baptisées « école Pauline Kergomard », afin de perpétuer le souvenir de celle qui a tant œuvré pour la prise en compte des spécificités de la petite enfance.
Catherine Valenti, maitresse de conférences en histoire contemporaine, elle enseigne l’histoire des femmes et du genre à l’Université de Toulouse -Jean Jaures.