Grande figure du polar français, l’écrivain installé à Pessac a été professeur de lettres en Gironde en même temps qu’il écrivait ses premiers livres. Il a publié son treizième roman noir, dont l’intrigue se déroule à Bordeaux.
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Le dernier polar d’Hervé Le Corre, publié en janvier 2021, aura à nouveau eu pour décor les paysages de Nouvelle-Aquitaine. Bordeaux et le Médoc, plus précisément. Sans verser dans le régionalisme (« je déteste ça », prévient Hervé Le Corre), Traverser la nuit, toujours aux éditions Rivages, tisse son intrigue entre la capitale girondine et la région viticole.
Il y est question d’une femme battue qui cherche à s’en sortir par tous les moyens et d’une enquête sur une série de meurtres. Mais n’allez pas voir dans cette évocation des violences faites aux femmes le détournement facile d’un sujet malheureusement toujours d’actualité. « Ce n’est pas un roman dossier, précise Hervé Le Corre. Je ne cherche pas à me substituer à la parole des femmes. Ça serait abusif de ma part, et grossier. »
© Jean-Luc Bertini / Pasco
En janvier 2019, son précédent roman noir, Dans l’ombre du brasier, transportait lecteurs et action au cœur de la Commune de Paris en 1871. Des barricades de l’insurrection parisienne aux ronds-points alors occupés dans toute la France, le rapprochement avec le mouvement des Gilets jaunes avait été tentant. « Une bêtise, tranche Hervé Le Corre. Ça faisait des années que ça me tarabustait d’écrire sur la Commune. À la sortie du livre, j’ai dû me battre et me débattre contre des questions de résonance avec l’actualité. » « Mon projet est modeste, poursuit-il : c’est raconter une histoire. Mais évidemment, je suis un contemporain, je vais donc parler de thèmes contemporains. »
Le désir d’enseigner
Né à Bordeaux le 13 novembre 1955, Hervé Le Corre grandit, avec sa sœur, dans le quartier de Bacalan. Son père, ouvrier dans l’aéronautique, devient cadre par promotion interne, « grâce à son travail ». Sa mère, d’abord femme de ménage, finit par se consacrer à l’alphabétisation des femmes au sein d’une association de soutien des travailleurs immigrés.
Scolarisé au lycée Michel-de-Montaigne, il obtient son bac, série littéraire, en 1973. Et devient professeur de lettres, d’abord près de vingt ans dans le Médoc, puis à Bègles, au collège Marcellin-Berthelot. Retraité depuis 2017 et installé à Pessac, Hervé Le Corre est désormais écrivain à plein temps. On peut l’écouter chaque trimestre à la librairie bordelaise La Machine à Lire, lors des rencontres autour du polar qu’il coanime.
Mais il tient à faire la distinction entre son « métier », enseignant, et son « travail », écrire. « Je garderai le désir d’enseigner et de transmettre jusqu’à mon dernier souffle. L’écriture est un vrai travail, avec du plaisir, mais je n’ai jamais envisagé d’en faire un métier. Surtout pas. Je trouve bien téméraires et ambitieux, voire vaniteux, ceux qui essaient. Il faut vraiment croire en son talent pour pouvoir espérer vivre de cette activité. »
« Je me suis dit que le roman noir avait l’air assez facile. Des idées de jeune blanc-bec ! »
À 30 ans, Hervé Le Corre publie son premier roman, La Douleur des morts, alors qu’il a commencé à écrire à 21 ans. Pour l’anecdote, c’est en lisant Le Petit Bleu de la côte ouest de Jean-Patrick Manchette, livre ramené par un copain qui avait un oncle imprimeur, qu’il découvre le roman policier. « L’envie d’écrire me tenaillait depuis très longtemps. En lisant Manchette, je me suis dit que le roman noir avait l’air assez facile. Des idées de jeune blanc-bec, totalement inconscient ! Mais cette espèce de naïveté un peu bête m’a permis de mettre le pied à l’étrier. Ensuite, j’ai travaillé. J’insiste sur ce verbe. »
Travailler jusqu’à devenir l’une des plus grandes plumes du polar français. Hervé Le Corre cumule les prix : prix Mystère de la critique et Grand Prix du roman noir de la Ville de Paris en 2005 pour L’Homme aux lèvres de saphir ; Grand Prix de littérature policière en 2009 pour Les Coeurs déchiquetés ; prix Landerneau, prix Michel-Lebrun et prix Le Point du polar européen en 2014 pour Après la guerre…
Réalisme social noir
Pour Prendre des loups pour des chiens (2017), drame poisseux d’un ex-taulard situé dans le sud de la Gironde, Hervé Le Corre avait relevé un article dans Sud Ouest Dimanche et laissé l’histoire « décanter » deux ans durant. Sans collectionner les faits divers, l’auteur creuse la veine du réalisme social noir. « Je parle de la société, de gens à qui j’attribue des caractères proches de la réalité. Sur le plan littéraire, mon école est le naturalisme. »
Un naturalisme pétri de ses engagements. « Fier d’être du monde ouvrier », ancien militant à la LCR et toujours syndiqué, Hervé Le Corre ne cache pas ses convictions, comme il n’en fait pas étalage dans les médias, préférant toujours « travailler plutôt qu’occuper la place ».
S’il signe des textes coup de poing (comme en 2018 dans l’ouvrage collectif Ford Blanquefort, même pas mort !, en soutien aux salariés du site girondin de l’entreprise), l’écrivain récuse « toute forme de didactisme, directement politique » dans ses romans. « Je n’aime pas ça. Ça m’ennuie en tant que lecteur. Du coup, au travers des destins individuels que j’essaie de décrire, on perçoit par rebond telle ou telle question sociale. Mais ça ne constitue jamais l’axe de mes bouquins. Je préfère être un citoyen engagé plutôt qu’un écrivain engagé. »
Ses dates clés
- 1955 : Naissance à Bordeaux
- 1990 : Premier polar « La Douleur des morts », dans la collection Série Noire
- 2004 : « L’Homme aux lèvres de saphir » (éd. Rivages) remporte plusieurs prix
- 2019 : Parution de « Dans l’ombre du brasier » (éd. Rivages)
- 2021 : « Traverser la nuit » (éd. Rivages), son treizième roman