Né en 1862 à Oloron-Sainte-Marie, Louis Barthou est surtout connu – et reconnu - pour avoir, ministre des Affaires étrangères au soir de sa vie, tenté d’ériger une barrière à la menace hitlérienne en alliant la France aux pays d’Europe centrale et orientale, URSS comprise.
Avocat de formation
Son assassinat à Marseille le 9 octobre 1934 en même temps que le roi Alexandre de Yougoslavie qu’il était venu accueillir, fit tourner court l’entreprise. L’épisode valut à Barthou des obsèques nationales et ultérieurement, chez les historiens, l’image durable d’un homme politique déterminé et lucide.
Comme l’arbre cache la forêt, cette mort en gloire a quelque peu occulté le parcours remarquable de cet enfant des Pyrénées, issu d’un milieu modeste et fils de ses œuvres, qui entre au Parlement à 27 ans comme l’un des plus jeunes députés de France, puis est constamment réélu, d’abord au Palais Bourbon puis au Sénat où il entre en 1922, jusqu’à sa mort. Cette longévité s’appuie sur un enracinement local soigneusement entretenu par des campagnes électorales qui labourent le terrain, à grand renfort de discours qui mêlent le français et le patois dans les villages de la circonscription d’Oloron, avant d’insister plus tard, quand il siège au Luxembourg, sur la nécessaire paix entre Basques et Béarnais. Cette longévité s’appuie aussi sur la puissance tribunicienne de l’avocat de formation, dont les interventions parlementaires sont redoutées de ses ennemis politiques et attendues par ses partisans. Louis Barthou est l’un des grands orateurs de la Troisième République, doublé d’un publiciste assidu qui toute sa vie, depuis ses débuts à 25 ans à L’Indépendant des Pyrénées, a donné des articles à divers journaux et revues.
Ministre des travaux publics
Les portes du pouvoir s’ouvrent à 32 ans, lorsqu’il devient ministre des Travaux Publics dans le gouvernement Charles Dupuy. Par la suite - et au total à six portefeuilles différents - il sert Jules Méline, Georges Clemenceau, Aristide Briand, avant de devenir président du Conseil lui-même en octobre 1913. C’est qu’il est lié par une étroite amitié – au temps de leur jeunesse parlementaire on les surnommait « les deux gosses » - au nouveau locataire de l’Élysée, élu quelques mois plus tôt, Raymond Poincaré. Barthou fait donc voter la loi portant le service militaire à trois ans à la veille de la guerre. Après l’armistice de 1918, sa carrière épouse étroitement celle de Poincaré, dont il est le fidèle second, voire l’éminence grise, lorsque celui-ci devient, à plusieurs reprises dans les années 1920, président du Conseil. Entré en politique au centre-gauche, contre les députés compromis dans le scandale de Panama puis favorable à Dreyfus, Barthou est devenu au sortir de la Grande Guerre un des mentors du Bloc national et un spécialiste des relations internationales.
Homme de lettres
Cet homme incontournable, ministre au fil du temps pendant quinze de ses quarante-cinq années de carrière, n’est pas seulement un animal politique. Produit de la méritocratie républicaine et des humanités, il veut être reconnu comme homme de lettres. Le lycéen qui avec le culot de ses 15 ans avait écrit à Victor Hugo - qui lui avait répondu, parce que La Légende des Siècles évoquait les Pyrénées - est élu en 1918 à l’Académie française, fort de l’appui de ses amitiés avec Anatole France, Edmond Rostand, Pierre Loti. Barthou écrivain est d’abord le biographe des hommes dans lesquels il se reconnait : les grands orateurs de la Révolution française - Mirabeau, Danton, mais surtout Lamartine, à la fois ministre de la République de 1848 et écrivain, son véritable modèle. Il cultive le romantisme, en écrivant aussi sur Hernani ou sur Wagner, mais également en amoureux de la montagne : les villégiatures autour du lac de Lucerne ont remplacé les escapades pyrénéennes. Il écrit aussi sur Venise qu’il a survolé en avion : la passion romantique n’exclut pas le goût de la modernité technique.
2143 livres
La passion de la littérature se traduit chez Louis Barthou, auquel son mariage en 1895 avec Alice Mayeur, héritière d’une fortune immobilière, a donné l’aisance d’un grand bourgeois, par la religion du livre. Sa bibliothèque de la rue d’Antin, dispersée à sa mort en trois ventes aux enchères successives, contenait 2143 pièces émanant de 527 auteurs différents, dont la plus grande collection de manuscrits de Victor Hugo. Faisant visiter sa bibliothèque au journaliste du Figaro Louis Latzarus en mai 1914, Barthou lui avait dit : « Certains prétendent que j’aime le pouvoir par-dessus tout. Ils n’ont jamais vu mes livres… ».
Éric Bonhomme, normalien, agrégé et docteur en histoire contemporaine, a enseigné en khâgne Ulm au lycée Montaigne de Bordeaux. Spécialiste d’histoire politique contemporaine, il a récemment publié D’une monarchie à l’autre. Histoire politique des institutions françaises de 1815 à 2020 (Paris, Armand Colin, 2021).