Héros éclipsé de la fin de la guerre de Cent Ans, John Talbot peine de nos jours à subsister dans les mémoires. Cependant, l’évocation de la bataille de Castillon suffit bien souvent à remettre ce chef de guerre anglais sur le devant de la scène. Et pour cause ! Personne n’a oublié la fameuse défaite des troupes anglo-gasconnes face à une des armées du roi de France Charles VII le 17 juillet 1453.
Ainsi, John Talbot est celui qui, par des choix discutables, perdit à Castillon, allant jusqu’à y laisser sa vie. Pourtant, si le roi d’Angleterre Henry VI l’a choisi l’année précédente pour aller libérer les Bordelais de la nouvelle tutelle française, c’est que John Talbot est le capitaine anglais le plus réputé et le plus expérimenté sur lequel il peut compter. Descendant de la vieille noblesse anglo-normande, né vers 1387, il connaît dès 1404 ses premiers combats au Pays de Galles aux côtés de son frère Gilbert et du prince de Galles, le futur Henry V. C’est là, ainsi qu’en Irlande où il est envoyé en tant que lieutenant du roi entre 1414 et 1419, qu’il se forge une solide expérience militaire faite de raids, d’attaques surprises et de harcèlement de l’ennemi. Modes opératoires qui lui seront d’une grande utilité une fois sur le continent et dans lesquels il excelle.
Un capitaine prisonnier
Brillant capitaine au service d’Henry V puis d’Henry VI, John Talbot arrive pour la première fois en France en 1420, alors que vient d’être signé le traité de Troyes, qui fait du roi d’Angleterre l’héritier de la Couronne de France. En quatre ans, entre 1420 et 1422 puis entre 1427 et 1429, Talbot se fait une place au sein de l’élite militaire anglaise sur le continent. Mais l’échec du siège d’Orléans en mai 1429 et la défaite de Patay le 18 juin marquent un coup d’arrêt tant dans la progression des Anglais sur le territoire français que pour John Talbot. Fait prisonnier à Patay par Poton de Xaintrailles, il n’est libéré que quatre ans plus tard.
Un maréchal en otage
De retour en France quelques semaines seulement après sa libération, Talbot s’attache pendant dix ans à assurer du mieux qu’il peut la domination anglaise en Normandie et en Île-de-France, et reçoit en 1436 le titre de maréchal. Cependant, alors que les trêves de Tours de 1444 permettent au roi de France Charles VII de réorganiser son royaume et son armée, l’Angleterre sombre dans les difficultés financières et les luttes internes. En 1449, lorsque les Français, en position de force, lancent plusieurs attaques pour la reconquête de la Normandie, John Talbot ne dispose pas d’assez d’hommes pour leur tenir tête. Livré comme otage lors de la reddition de Rouen en octobre, il n’est libéré qu’en juillet 1450, une fois la victoire française assurée.
Un lieutenant libérateur
Mais John Talbot n’en a pas fini avec la guerre sur le continent. Alors que le duché de Guyenne a été conquis par les Français en 1451 sans qu’Henry VI, roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine, ne puisse lui venir en aide, il a l’occasion de se rattraper lorsqu’une délégation de seigneurs gascons se présente à Londres à l’été 1452 pour demander au roi-duc de venir appuyer militairement une révolte contre la présence française. John Talbot, nommé lieutenant du roi en Guyenne, part en Aquitaine au mois d’octobre. Accueilli en libérateur par les Bordelais, il reprend rapidement le contrôle du Médoc, du Bordelais et de l’Entre-deux-Mers. Mais malgré des renforts venus d’Angleterre au printemps 1453, il n’est pas en mesure de faire face aux forces françaises envoyées en nombre en Guyenne pour mater définitivement la province récalcitrante. Si la bataille de Castillon n’est pas la dernière opération militaire de la guerre de Cent Ans, et que les Bordelais résistent jusqu’au 9 octobre, la mort de Talbot et la défaite de l’armée anglo-gasconne en ce 17 juillet 1453 scellent le destin de l’Aquitaine.
Un commandant énigmatique
Par ses efforts pour repousser l’ultime défaite anglaise, John Talbot gagne durablement renommée et honneur, en France comme en Angleterre. Mais il reste un commandant militaire énigmatique. Homme charismatique, il mène ses troupes de manière astucieuse, avec un minimum de risques et un haut degré de réussite, mais souffre deux défaites majeures, à Patay et à Castillon. Homme à la fois dur et cruel et attaché aux valeurs chevaleresques, les nombreux conflits qui ponctuent sa vie en Angleterre contribuent à l’effondrement de la dynastie qu’il s’acharne à défendre sur le continent. Par ses multiples facettes, John Talbot est un parfait révélateur des évolutions et des contradictions qui marquent le XVe siècle.
Spécialiste du duché d’Aquitaine, Marie Fauré est doctorante en histoire médiévale à l’université Bordeaux Montaigne. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont La Guerre de Cent Ans, ainsi qu’aux éditions Memoring Le Palais de l’Ombrière. Le château oublié de Bordeaux et Préservez-nous du Mal ! Les Bordelais face à la peste (avec Stéphane Barry), deux ouvrages primés par l’Académie Nationale de Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.