L'écrivain-marcheur Olivier Bleys nous emmène à Périgueux, une ville forte de son histoire multiple, pour une nouvelle exploration urbaine en Nouvelle-Aquitaine.
- #Tourisme
© Olivier Bleys
C’est une curieuse impression, descendant de voiture, d’entrer dans Périgueux par une porte. Car cette porte, double, en pierre, aux angles noircis de lichen, est restée seule debout après le démantèlement du mur auquel sans doute elle adhérait. Ma visite commence par le château Barrière, vestige d’une maison forte du Moyen Âge dont la tour s’adossait à la première enceinte, romaine, de la cité.
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La bâtisse, en ruines, garde pourtant noble allure. On l’entretient bien : comme j’arpente le gazon mouillé, des jardiniers munis de rotofils s’affairent au pied des murailles.
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Il y a quelque ironie, sans doute, à soigner les parterres d’un château sans toit ni fenêtres. Mais Périgueux, labellisée « ville d’art et d’histoire », veut préserver son passé — ou plutôt ses passés. « Deux mille ans, quatre villes » : joli slogan pour cette cité au riche patrimoine, où dialoguent harmonieusement les époques gallo-romaine, médiévale, renaissante et moderne.
Rarement on a vu une architecture aussi disparate. Les rues que j’emprunte alternent bâtiments art déco, maçonneries antiques, villas dix-neuvième... Un ensemble qui pourtant fonctionne assez bien.
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Que se cache-t-il, derrière ces façades ? Je vais bientôt le savoir. J’ai rendez-vous chez Bleu & Associés, une entreprise locale dédiée à l’aménagement d’espaces enfants sur mesure. L’occasion de pousser une porte périgourdine — le moyen aussi d’assouplir un peu mes extrémités, car le froid et la pluie me harcèlent depuis le matin...
On m’accueille avec un bon café chaud. Les bureaux de Bleu & Associés sont un havre idéal, par cette météo calamiteuse. Je m’enfonce dans un fauteuil, écoutant Delphine Khairallah me présenter la société.
Son goût pour le design, le « fun et le beau », la directrice associée n’en fait pas seulement profiter sa clientèle, mais aussi son équipe. Tout ici n’est que couleurs, chaleur et vitamines, à l’image du catalogue de cette agence en plein essor.
Peut-on, vivant à Périgueux, faire affaire avec le monde entier ? Delphine me répond sans ambages.
Pendant ma visite à Bleu & Associés, la pluie a cessé. Je renfile mes gants, coiffe ma casquette et rallume le GPS qui me guide vers les arènes toutes proches. Comme tantôt le château Barrière, cet ancien amphithéâtre de 18 000 places meuble un espace vert. Cependant, son ovale reste inscrit dans le plan de la ville : c’est lui qui dicte leur courbe aux rues adjacentes ; c’est lui encore qui oblige la circulation, pédestre ou automobile, à le contourner dans le sens anti-horaire.
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De la même époque — Ier siècle de notre ère — date la tour de Vésone, sanctuaire voué à la déesse Vesunna. Un peuple gaulois, les Pétrocores, ont érigé ce temple à leur divinité tutélaire. C’est donc là, au sud de Périgueux, que la ville a pris racine. Pour aborder la tour, on traverse une voie ferrée (ligne de Coutras à Tulle) comme on franchirait un fossé temporel...
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L’architecte Jean Nouvel a reçu la mission d’habiller d’autres vestiges romains, au ras du sol. Un musée tout en vitrage se déploie ainsi au voisinage de la tour. Il fait face, par-delà les rails, à un Centre National de Préhistoire aux allures de manoir champêtre.
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On comprend que les Pétrocores aient choisi ce site pour établir leur capitale. Détaillant une carte de Périgueux, je suis frappé de la façon dont la rivière locale, l’Isle, enlace câlinement le sud de la ville. Comme ce doit être agréable, de marcher sur ses berges ! Une voie verte est tracée pour les cyclistes et les promeneurs. Je la rejoins en quelques foulées.
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En vérité, l’Isle à cet endroit se dédouble : la rivière court parallèlement à une voie aménagée, le canal de Périgueux. Entre les deux, une véritable presqu’île, bordée de jardins et de maisons au pied mouillé.
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Si c’était l’été, je tournerais la manivelle du bac de Campniac qui transporte vélos et piétons de Périgueux à Coulounieix-Chamiers, sur l’autre rive. Mais jusqu’au printemps, le bac est remisé pour l’abriter des intempéries.
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D’ailleurs, marcheurs et bicyclettes sont plutôt rares, en ce midi glacé. Même les vaillants canoteurs n’osent pas mettre leurs embarcations à l’eau.
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À mesure que j’avance, les berges de l’Isle deviennent des quais. Les pentes herbues se couvrent de pierres. Des ponts plus nombreux, massifs, enjambent le courant qui ralentit dans la rivière plus large.
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Les constructions riveraines montent en gamme, elles aussi. Il y a l’eschif de Crayssac, ancien poste de guet au nom imprononçable qui m’évoque la cabane de Baba Yaga, la sorcière des contes russes, juchée sur ses pieds de poule.
Plus loin loge un trio de bâtisses remarquables, dont la fastueuse maison des consuls. Le point de vue pâtit beaucoup, hélas, des autos qui vont et viennent.
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Une rue pavée part à angle droit de l’Isle, avec des boutiques aux devantures colorées qui réchauffent la pénombre hivernale.
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À flanc de colline, voici la cathédrale Saint-Front. Son parvis généreux aère les venelles étroites du quartier. Successivement église, abbaye et cathédrale, parée au fil des siècles de nombreuses coupoles, de dômes et de clochetons, Saint-Front n’est pas simple à comprendre. Par où entrer ? Par où sortir ?
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À l’arrière, on rencontre un charmant petit jardin, sur l’emplacement de l’ancien réfectoire des moines. Ce belvédère armé de canons domine la vieille ville. Ce jour-là, le glouglou d’une fontaine veut se faire entendre, malgré le spectacle de cirque donné en contrebas, sur la place Mauvard.
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Je dois presser l’allure pour tenir un second rendez-vous, dans les ruelles piétonnes du centre-ville. Nous ne sommes qu’au milieu de l’après-midi mais les vitrines des commerces s’allument déjà, scintillant de tous les feux de Noël. Des kilomètres de tapis rouge sont déroulés sur les pavés. Une musique de saison tombe des haut-parleurs branchés un peu partout.
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En comparaison d’autres boutiques parées pour les fêtes, L’espace du sixième sens garde une présentation très sobre. On se croirait plutôt dans la cabane d’un garde-chasse qu’au pays du père Noël. Des effigies de sanglier ou de cochon, des branches de sapin et des moulages de cèpes décorent l’entrée.
À peine franchi le seuil de ce commerce ambigu, à la fois épicerie fine et bistrot de terroir, mon attention est captée par de belles truffes, dans un panier à anse. Je n’en ai jamais vu autant, ni d’aussi près. Il y a aussi, empilées sur les étagères en bois, ces conserves appétissantes dont je garnirais bien mes placards.
Je suis entré à l’instant où le maître des lieux emballait un gros champignon pour un client qui ressort, son butin dans la poche. Sous mes yeux captivés, Francis Delpey entame la confection d’un foie gras truffé.
Détail qui m’intrigue, l’ancien restaurateur porte un maillot noir des All Blacks, la fameuse équipe de rugby néo-zélandaise. La conversation glisse sur le marché international de la truffe. On en cultive même aux antipodes, m’apprend Francis Delpey. Il prépare d’ailleurs un voyage dans le Pacifique sud, en quête de nouvelles variétés.
Quand je quitte L’espace du sixième sens, il fait presque nuit. Au pas de charge, le GPS à bout de bras, je traverse des jardins où les lampadaires s’allument — le parc artistique de l’espace culturel François Mitterand, peuplé d’œuvres, le parc Gamenson dont l’abondante statuaire rend hommage aux félibres, ces poètes occitans.
Il n’est plus temps, hélas, de chercher l’accès de la loge maçonnique, dont la façade sculptée promet bien des mystères. Pas davantage, je n’apprendrai le secret de la fontaine Plumancy, qui célèbre l’adduction d’eau potable de la ville et que les Américains comparaient à la statue de la Liberté. Je me réjouis, en revanche, d’aborder de nuit la tour Mataguerre. Avec ses mâchicoulis éclairés, cet ancien entrepôt de poudre fait une forte impression.
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Devant le musée d’art et d’archéologie, je marque l’arrêt. D’où vient cette lueur rose qui teinte la façade ? Une illumination de Noël ? L’installation d’un artiste contemporain ?
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Non, c’est banalement une fête foraine, sur le trottoir d’en face...
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Un musée du dix-neuvième siècle, rempli d’antiquités, dont les pierres se colorent aux feux d’une énergie moderne ! Périgueux m’aura joué ce dernier tour, au douzième kilomètre de marche, pour me souffler peut-être combien passé, présent et futur ici s’amalgament.
« Deux mille ans, quatre villes » : une belle devise, décidément, pour la cité des Pétrocores.