Haussmann ? C’est Paris bien entendu. Et, chacun en a sa vision : pour certains, celui que l’on va appeler le « grand déménageur » est le réactionnaire qui éventre la ville pour éviter qu’on y élève des barricades ; pour d’autres il est le visionnaire qui crée la grande ville moderne, faisant de Paris cette capitale de l’Europe, où toutes les têtes couronnées se retrouvent pour l’exposition universelle de 1867, la dernière heure de gloire du Second Empire, au son de la musique d’Offenbach.
Haussmann ? Un colosse de près de deux mètres, un « Attila » (ce fut un de ses surnoms) creusant des gouffres dans les comptes publics, un consommateur effréné de femmes, un homme craint, détesté, méprisé aussi, trop brutal, trop inculte, trop menteur.
Ce protestant, que Napoléon III choisit pour transformer Paris, a des liens étroits avec le Sud-Ouest. Il commence une carrière de sous-préfet après la révolution de Juillet, d’abord secrétaire général de la préfecture de la Vienne à Poitiers, puis sous-préfet de Nérac. Il y reste sept ans. Sept années d’apprentissage, où il montre son goût pour l’aménagement du territoire, devenant l’homme des ponts, des routes et des écoles. Il sait nouer des liens avec des notables, aide George Sand à récupérer sa fille, rencontre un illustre inconnu, fervent bonapartiste, lui aussi sous-préfet, un Bordelais nommé Mocquard (qui saura s’en souvenir). Et quand passe par Nérac un jeune pasteur bordelais qui l’invite à Bordeaux, il s’y rend et en épouse peu après la sœur au temple des Chartrons. Dans la foulée, en 1842, il est nommé sous-préfet à Blaye.
Envoyé comme préfet à Bordeaux
La révolution de 1848 et l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République vont changer son destin. Il prend parti, contre les notables bordelais, pour le neveu de l’Empereur. Dans cette situation inédite – l’élection d’un président de la République au suffrage universel – il est sûr du résultat. Et il a raison. Le prince devient président. Mocquard, son chef de cabinet, suggère de nommer Haussmann préfet du Var, puis de l’Yonne. Trois ans après, quand Louis-Napoléon prépare un coup d’Etat, il va faire appel à lui. Il lui faut dans les départements des préfets prêts à faire régner l’ordre. Il envoie personnellement Haussmann à Bordeaux, ville orléaniste, comme préfet. Cet homme à poigne veille au grain. Les quelques velléités de révolte sont écrasées.
Et voilà que le prince commence une série de voyages en septembre 1851. Va-t-il annoncer le rétablissement de l’Empire ? Persigny l’en presse. Mocquard aussi, l’homme indispensable, plus encore que jamais. Quant à Haussmann rencontre Louis-Napoléon, il l’appelle « Sire » - par erreur bien sûr… Le voyage de Louis-Napoléon l’amène à Bordeaux. La réception fabuleuse qu’Haussmann lui réserve n’est pas pour rien dans ce fameux discours du 9 octobre 1852. Devant une foule énorme, au cours d’un repas donné par la Chambre de commerce dirigée par l’ancien maire de Bordeaux Duffour-Dubergier, devant plusieurs ministres « aquitains » et les notables de la région, Louis-Napoléon annonce le rétablissement de l’Empire avec la célèbre formule : « l’Empire, c’est la paix ». Dans la nuit, les murs des rues sont couverts d’affiches reproduisant le discours, et deux mois après, le 2 décembre 1852, l’Empire est rétabli. Le Second Empire commence, qui va voir un profond bouleversement économique et social du pays.
Du Bouscat à Canéjean en passant par Cestas
Lors des longues journées qu’Haussmann a passées aux côtés du futur empereur, lui a-t-il parlé des aménagements de Nérac ? Connait-il par Mocquard les projets de transformation de Paris ? Napoléon a une âme d’aménageur. Pour les campagnes et pour les villes, comme il va le faire dans les Landes ou à Vichy, il veut moderniser, assainir, aérer. II a vécu une partie de sa jeunesse à Londres et en Amérique. Il a jeté sur papier dès son élection en 1848 des idées pour moderniser Paris. Les premiers travaux – ne serait-ce que le bois de Boulogne – ne lui conviennent pas. Et voilà que le 22 juin 1853 un télégramme est porté au préfet Haussmann en train de manger à Bazas… Il est nommé préfet de la Seine chargé des grands travaux…
Pourtant, même si pendant des années Haussmann est installé à Paris, ses liens avec l’Aquitaine ne se distendent pas. Il y a la maison de ses beaux parents au Bouscat, le château de Rouillac à Canéjean qu’il achète, et surtout le château dont sa femme hérite à Cestas, qu’il transforme et où il va passer les dernières années de sa vie. Bien sûr il tente de se reconvertir dans l’Empire ottoman, bien sûr il devient député de Corse, mais la Gironde est devenue sa terre de cœur et son refuge. Il y écrit ses mémoires et y passe les dernières années de sa vie.
Joelle Dusseau
Inspectrice générale honoraire de l’éducation nationale. Elle est agrégée d’histoire et docteur es lettres .Ancienne Sénatrice de la Gironde.
Pierre Brana
Historien, écrivain, Homme politique, il fut maire d’Eysines et député de la Gironde