C'est à Blaye, le long de l'estuaire de la Gironde, qu'Olivier Bleys fait sa nouvelle halte, pour une marche hors des sentiers battus.
- #Tourisme
© Olivier Bleys
Ma première visite à Blaye, c’était par hasard. Nouveau dans la région, j’avais suivi en voiture la rive droite de l’estuaire pour préparer un article de magazine. Tout était neuf à mes yeux de Lyonnais : la pointe grise du bec d’Ambès, les maisons troglodytiques de Roque de Thau, au Rigalet les jardins plantés de palmiers des capitaines au long cours… et plus au nord, à Blaye, cette citadelle de calcaire gris dont j’ignorais à peu près tout.
Dix ans plus tard, presque jour pour jour, me revoici sur les lieux. Je suis en retard au rendez-vous que m’a fixé une équipe de France 3 Aquitaine, qui consacre un sujet à mes carnets de marche. C’est dans cette drôle de configuration que commence ma déambulation dans la ville : ils me filment en train de filmer, ils m’interviewent en train de questionner les passants.
Devant une belle propriété qu’il retape, un Blayais évoque sa ville de naissance.
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Où est l’ancien tribunal ? J’ai lu qu’en face, sur la discrète place Maxime-Chasseloup (l’omniscient Google Maps ne la situe pas), se loge une curiosité : un urinoir de la fin du XIXe siècle, sorte de guérite « à la coiffe décorative formée de deux cloches emboîtées, et percée de quatre chiens-assis », rare élément d’un patrimoine modeste qui n’est sûrement pas inscrit à l’inventaire, même supplémentaire, des monuments historiques.
La place est bien là, devenue aire de stationnement. Et les vespasiennes, je le constate, remplissent toujours leur office...
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Ces premières foulées à Blaye nous dévoilent le visage blanc, sobre et crayeux de la ville. Ici domine la pierre : calcaire à Astéries, pierre du Saintonge, pierre du Poitou, parfois tuffeau de Touraine... Toute la Gironde est minérale, aux dépens des jardins réduits souvent à la portion congrue, mais aussi d’autres matériaux de construction comme la brique, dont le royaume s’appelle Toulouse.
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Dans le centre, les façades sont décorées de fresques, qui offrent une échappée bienvenue aux regards des passants. Photos géantes, compositions graphiques spectaculaires vivent en bonne harmonie avec les vestiges du Blaye ancien, telle cette pompe à roue qui geint affreusement sans relâcher la moindre goutte d’eau.
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Ces parures murales sont une bonne introduction à la visite qui m’attend. J’ai rendez-vous avec Émilie Baudrais, une mosaïste des environs. Naguère installée sous les voûtes de la citadelle, l’artiste a déménagé son atelier à Plassac, petit village au sud de Blaye. On peut y admirer les vestiges d’une villa gallo-romaine aux sols de mosaïque bien conservés. C’est donc une tradition locale millénaire dont la jeune femme, formée en Italie, assure la continuité.
L’atelier d’Émilie jouxte sa boutique. Elle y poursuit une tâche minutieuse : composer des éclats de marbre ou de verre sur du mortier frais. Un grand calme règne autour de l’établi, dérangé seulement par ses petits coups de marteau pour tailler les pièces ou, à intervalles plus longs, ses doigts qui fouillent un casier à la recherche de couleurs.
Dans l’esprit de beaucoup, la mosaïque est l’art d’assortir des éclats de pierres teintées. En réalité, nous apprend Émilie, la mosaïque contemporaine emploie toutes sortes de matériaux.
Autre idée reçue, dont elle nous délivre : la mosaïque actuelle ne se limite pas à la copie d’anciens motifs.
De retour dans les rues de Blaye, alors que perce un rayon de soleil, mes yeux affrontent la blancheur crue des façades. Une chaleur lumineuse s’est répandue sur la ville et, pour la première fois de cette année humide, j’emprunte les trottoirs à l’ombre. Des chiens aboient ; une escouade de jardiniers municipaux dégage au rotofil des ruines embroussaillées : c’est l’été qui s’annonce.
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Un peu plus loin, je trouve refuge sous la voûte de l’église Saint-Romain. Cet édifice du XVIIe siècle remplace la basilique éponyme, vieille nécropole des rois d’Aquitaine rasée lors de la construction de la citadelle. Deux détails attirent mon attention : les coquillages naturels qui servent de bénitiers et l’absence de clocher — comme il est d’usage, paraît-il, au sein des places militaires.
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L’église est déserte. À quelques rues de là un autre bâtiment, profane celui-ci, paraît également à l’abandon. C’est l’ancien cinéma Le Monteil, en service pendant un siècle jour pour jour, de décembre 1913 à décembre 2013. Voici cinq ans qu’une autre salle, moderne, en centre-ville, accueille les spectateurs. On raconte qu’au moment du dépôt des fauteuils oranges de l’ancien cinéma, un couple âgé a voulu s’en approprier quelques-uns, en souvenir des séances de leur jeunesse.
Ma promenade ne ressemble pas au circuit des touristes. La plupart entament leur visite de Blaye par l’exploration de la citadelle et, avouons-le, ne voient souvent rien d’autre. Quant à moi, j’aborde en dernier la principale attraction de la ville, après déjà dix kilomètres à marcher dans les quartiers avoisinants.
Avant d’attaquer cet imposant complexe militaire (trente-huit hectares, plus d’un kilomètre de remparts), mieux vaut prendre des forces. Je pousse la porte d’une pâtisserie idéalement située, puisque sa vitrine reflète les murailles.
Le maître des lieux, Jacques Brégier, y confectionne depuis plus de vingt ans les « praslines de Blaye » (on lit parfois cette orthographe désuète) dont la recette qui tient en quelques mots réclame pourtant un sérieux tour de main.
Lesté d’une bonne poignée de pralines, parmi d’autres spécialités dont le pâtissier m’a régalé, c’est du pas lent de la digestion que je franchis la porte Dauphine, l’une des deux qui donnent accès à la citadelle.
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On connaît l’histoire de ce vaste ensemble fortifié, pièce majeure d’un dispositif défensif voulu par Louis XIV, afin de « tenir Bordeaux dans le devoir, s’il lui arrivait de faire la bête. » La citadelle compose avec le fort Paté, sur l’île artificielle du même nom, et le fort Médoc établi sur la rive opposée, ce qu’on nomme le « verrou de l’estuaire ».
Le plan, dessiné par Vauban, est d’une ingénieuse complexité. Pas moins de quatre bastions et trois demi-lunes encadrent la citadelle proprement dite où logent très à l’aise une place d’armes centrale, un couvent et des casernements pour les troupes.
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Mais nous sommes en temps de paix, et ces bâtiments guerriers ont été convertis pour répondre aux besoins nouveaux du tourisme. La citadelle abrite désormais une aire de camping, un hôtel-restaurant, un glacier et des échoppes d’artisans.
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Ce qui frappe en sillonnant cette cité miniature, c’est le mélange des époques dont les vestiges se coiffent et se chevauchent — ici, un pan de mur moyenâgeux mordant sur une courtine renaissante ; là, une verrière moderne comblant un bâtiment du XVIIe siècle.
L’unité de ces décombres disparates est donnée par l’arrière-plan : il n’y a pas de plus joli coup d’œil sur l’estuaire que celui offert par le chemin de ronde, trente-cinq mètres au-dessus des eaux limoneuses de la Gironde.
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C’est sur cette image, ensemble vigoureuse et paisible, de l’estuaire à marée montante que je prends congé de Blaye - de ses rudes bâtiments militaires auxquels font pendant, sur le trottoir opposé, de chastes bâtisses taillées dans la tendre pierre du pays.
Deux mondes que tout oppose, mais que l’histoire a accolés pendant des siècles. Encore une belle destination pour le marcheur…
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