Aliénor d’Aquitaine est sans aucun doute le personnage historique féminin le plus connu du Moyen Âge. Celle qui épousa successivement deux futurs rois et qui fut la duchesse en titre d’un des plus grands et plus riches territoires de l’Occident médiéval, n’a en réalité laissé que peu de sources directes de sa vie.
Ce sont surtout ses détracteurs qui s’en sont chargé, et ce dès son vivant, soit qu’ils contestassent son comportement « contraire à la place naturelle attribuée par Dieu aux femmes », soit qu’ils voulussent salir la réputation de la famille à laquelle elle appartenait, les Capétiens puis les Plantagenêts. C’est bien l’image véhiculée par ces commentaires et amplifiée au fil des siècles qui a été transmise jusqu’à nous.
Née en 1122 ou 1124, vraisemblablement à Poitiers, Aliénor devient à la mort de son frère l’héritière des fiefs familiaux, comme il en est de coutume à cette époque. C’est donc tout naturellement qu’elle succède à son père, lorsque celui-ci meurt en avril 1137. Duchesse en titre mais célibataire, fruit de toutes les convoitises, un mariage est rapidement conclu entre cette jeune aristocrate puissante et l’héritier de la couronne de France, qui se rend à Bordeaux à l’été 1137 avec tous ses barons, afin d’y célébrer l’union destinée, à terme, à réunir le domaine royal capétien et le duché d’Aquitaine. A peine investis duc et duchesse, ils sont couronnés roi et reine de France, après la mort de Louis VI.
Un ascendant indéniable
Semble-t-il peu appréciée à la cour de France, la jeune souveraine jouit d’un ascendant indéniable sur son mari, ou tout du moins d’une oreille attentive à ses conseils, au grand damne notamment de Bernard de Clairvaux et des clercs qui l’entourent, et qui seront les premiers à jeter le discrédit sur Aliénor. Amène-t-elle avec elle une suite de troubadours, comme il est souvent raconté ? Rien ne nous permet de l’affirmer. De plus, en tant qu’aristocrate, il est tout à fait normal, comme elle le fera pendant son mariage avec Henri Plantagenêt, de développer une activité de mécénat envers les artistes et de les recevoir à sa cour. Cependant, il est indéniable que les mœurs à la cour de France étaient bien éloignées de ce que la duchesse avait connu lors de son enfance. En réalité, Aliénor reste pendant ce mariage avec Louis VII relativement effacée. La rupture est consommée lors de la seconde croisade, en 1148, lorsque suite à ce qui semble être un différend stratégique, Aliénor aurait déclaré publiquement à Antioche qu’elle souhaitait le divorce. Si de cet épisode naîtra la légende de la femme adultère et incestueuse, il n’en reste pas moins que c’est à partir de là qu’Aliénor s’impose dans le champ politique.
Emprisonnée pendant 15 ans
Louis VII finit par accepter de rompre le mariage en mars 1152, mais n’avait sans doute pas prévu qu’Aliénor s’unirait en secondes noces, deux mois plus tard, avec le futur Henri II d’Angleterre. Mariage qui scelle l’entrée du duché d’Aquitaine dans l’« empire » plantagenêt. Et si l’Aquitaine reste sous suzeraineté française, la duchesse entend bien ne pas se laisser dicter sa conduite par son ex-mari et s’imposer comme détentrice pleine et entière du pouvoir sur ses terres familiales, autorité que ses vassaux lui reconnaissent sans conteste. Il ne faut cependant pas s’imaginer la deuxième partie de sa vie comme un long fleuve tranquille, et ses prérogatives fluctuent en fonction de ses grossesses successives, ainsi que du bon vouloir d’Henri, qui n’est pas connu pour aimer partager son pouvoir. Emprisonnée pendant 15 ans par son époux l’accusant d’avoir fomenté la révolte de ses fils et de ses barons aquitains en 1173-1174, elle profite dès 1189 de son veuvage pour reprendre les rênes de son Aquitaine et conseiller son fils Richard, nouveau roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine, puis venir en aide à son dernier fils Jean sans Terre ayant succédé à Richard, mort prématurément en 1199, et dont les initiatives ne sont pas toujours des plus heureuses. Jusqu’à la fin de sa vie en 1204, Aliénor tente de lui assurer les soutiens de ses vassaux aquitains et surtout de soustraire son duché à la convoitise de Philippe Auguste, nouveau roi de France. Elle démontre à de nombreuses reprises sa fine connaissance du droit féodal et ses rapports d’égal à égal avec les grandes figures politiques et religieuses de la fin du XIIe siècle et des premières années du XIIIe siècle. Femme de pouvoir, femme de son temps, Aliénor d’Aquitaine marque durablement l’histoire de l’Occident du Moyen Âge jusqu’à nos jours.
Spécialiste du duché d’Aquitaine au Moyen Âge, Marie Fauré est doctorante en histoire médiévale à l’université Bordeaux-Montaigne, laboratoire Ausonius. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le Palais de l’Ombrière, le château oublié de Bordeaux, Prix spécial du Jury de l’Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux en 2020, et de Préservez-nous du Mal ! Les Bordelais face à la peste avec Stéphane Barry, Prix Brives-Cazes de l’Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux en 2022, aux éditions Memoring.