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La Région Nouvelle-Aquitaine

Bedous

Carnet de marche : d’Oloron Sainte-Marie à Bedous

Temps de lecture 13 minutes

L'auteur Olivier Bleys chausse à nouveau ses crampons et nous propose de découvrir Oloron Sainte-Marie et Bedous, toujours au rythme du marcheur, avec pour seuls compagnons sa plume, son appareil photo, sa caméra et son enregistreur. Il est ainsi nos yeux et nos oreilles.

Publié le jeudi 27 avril 2017
  • #Tourisme
  • #Particulier
Oloron

On me crédite en général d’un bon sens de l’orientation. Mais un défaut gâche cette qualité précieuse aux randonneurs : c’est ma piètre mémoire des lieux, ou plutôt de leurs noms.

Dans une ville où j’aurais marché des heures sans me perdre, je ne pourrais pas nommer une seule rue. Même à Bordeaux où je vis, les ponts, les avenues, les barrières restent anonymes. J’y déambule tel un enfant qui ne connaîtrait rien du plan de la métropole.

En montagne, le relief tourmenté ajoute à cette difficulté. Impossible pour moi de me représenter clairement les vallées pyrénéennes et d’y loger sans erreur les villes, villages, hameaux de la plaine jusqu’aux cols frontaliers. Aspe, Ossau, Marcadau, Barétous, Bethmale... ces noms sonnent familiers — de là à légender une carte du massif, c’est une autre histoire. À mes yeux, il s’agit d’abord de rochers, de sapins, de gaves grondants et de vaches débonnaires. Elles m’importent peu, au fond, les étiquettes apposées par l’homme sur ces paysages immortels.

Plain-chant

Je suis donc entré dans Oloron-Sainte-Marie en toute innocence. Benoîtement, j’avais pris pour destination « la gare », inscrite en toutes lettres sur mon gps automobile.

La gare : quel meilleur endroit pour commencer l’exploration d’un site méconnu ? J’imaginais une charmante bâtisse fin XIXe, au crépi rafraîchi d’une couche de peinture rose, son aire de stationnement dans l’ombre des platanes. Ce serait commode d’y laisser ma voiture. Et puis, j’étais curieux du récent prolongement de la ligne ter, d’Oloron à Bedous, qui nourrissait l’actualité locale. Adepte surtout des grandes lignes, ferroviaires ou aériennes, j’aimais l’idée de me mêler à ces voyageurs de courte distance, dont les trajets se comptent en minutes et les billets coûtent une pincée d’euros : randonneurs à la journée, collégiens retournant dans leurs familles, pourquoi pas bergers remontant à l’alpage ?

La gare introuvable
Train du quotidien
Sur la rampe de départ

Mais le gps, ce jour-là, semblait aussi désorienté que moi. Au lieu de la gare que je lui demandais, il m’envoya en pleine zone pavillonnaire, au carrefour de trois rues, devant une friche grillagée. Je m’interrogeai un instant si la gare avait été démolie, ou déménagée ailleurs ? Non, ça n’avait pas de sens. S’il se trouvait un point fixe, un repère stable dans le paysage mouvant des agglomérations — étoile polaire des plans d’aménagement, c’était bien la gare... La bouger signifiait déranger l’inextricable pelote des aiguillages et des voies ferrées. Infaisable, dans les villes modernes !

Je levai les yeux de mon gps et, guidé cette fois par les panneaux de signalisation, parvins à la gare en quelques tours de roues.

Un instant plus tard, je chargeais mes épaules du petit sac à dos dédié à ces marches d’une journée. Il contient une bouteille d’eau, un paquet de biscuits, des pansements en cas d’ampoules, de quoi m’abriter du soleil ou des intempéries, ainsi qu’un équipement léger de prise de vue et de son. Le tout n’excède pas trois kilos, soit une fraction de ce qu’endurent ces mêmes épaules, lors des étapes estivales de mon tour du monde à pied : pour ces longues marches d’un mois, sept cents ou huit cents kilomètres en autonomie, le sac pèse plus lourd — j’en veux pour preuve ces vilains hématomes, bleu-violet, que laisse le sillon des bretelles après douze heures d’effort.

Mes premiers pas à Oloron-Sainte-Marie se déroulent dans un parc voisin de la gare, aménagé à l’arrivée du chemin de fer en 1883. Les grilles portent une variante du blason de la ville, une vache rouge surmontée d’une croix tréflée. Paresse du peintre ou du ferronnier, la vache n’apparaît pas « clarinée d’azur », comme le voudrait pourtant la tradition.

Le soleil étend sereinement ses rayons, malgré quelques nuages tissés à l’horizon. Voici une semaine que j’interroge chaque jour la météo, guettant une éclaircie dans les passages pluvieux qui rincent la région, et d’ailleurs l’ensemble du pays. Les conditions sont enfin favorables — étroite fenêtre, car il a plu des trombes hier et, dès demain, annoncent les prévisions, le mauvais temps envahira les Pyrénées béarnaises. Le sentiment d’une chance à saisir, d’un peu de lumière à capter avant le retour des intempéries, étend mes foulées à travers le quartier.

Accoudé à la rambarde d’un pont, je photographie le gave d’Aspe (le gave est le nom gascon des rivières pyrénéennes). Ce sont mes premières images, qui ont la maladresse des premiers mots adressés à une jolie fille. Il vaut pourtant le coup d’œil, ce torrent à l’impétuosité montagnarde dont une succession d’ouvrages en béton — barrages, écluses, estacades — prétendent dompter l’élan. Sur les eaux vertes frangées de blanc plongent de hautes façades, telles de rudes falaises maritimes.

Le point de vue est joli mais justement, c’est cliché. Cette photo de la rivière en perspective, fermée au fond par les montagnes enneigées, tous les touristes doivent la prendre. Je cherche plus original, mais l’inspiration manque. Il faut me dégourdir : mon dernier carnet de marche (à Royan) remonte à plusieurs mois. J’ai perdu l’état de vigilance et de concentration que requiert ce genre d’exercice.

Je suis en train de régler mon appareil, quand un promeneur m’aborde. Cet homme entre deux âges, flanqué d’un chien miniature, habite Oloron depuis trente ans. La conversation s’engage et bientôt, à l’écart de la rue bruyante, mon micro l’enregistre.

Avec un humour teinté de malice, l’inconnu décrit sa vie pyrénéenne. C’est pour se rapprocher de son fils, travaillant en Espagne, que cet ancien éducateur a quitté sa Lorraine natale. Il est d’ici, venu d’ailleurs : à la fois étranger et familier des lieux, c’est pour moi le témoin idéal.

Notre causerie s’achève. Je salue le promeneur et me lance à l’aventure dans les rues d’Oloron. Le poète Francis Ponge notait la propension de l’eau à descendre, descendre toujours plus bas, humble esclave de la pesanteur. Chez moi, c’est tout l’inverse. Mes mollets d’ascensionniste préfèrent toujours la côte au plat.

Au sol, des sépultures des XVIIe et XVIIIe siècles

La venelle que j’aborde, un vrai raidillon, monte à l’assaut des quartiers médiévaux, établis comme souvent sur une butte au cœur de la cité. Or, début avril, la saison touristique n’a pas commencé : l’antique tour de Guède (XIIIe siècle) est fermée, la maison du patrimoine ne se visite pas. Je trouve asile dans l’église Sainte-Croix.

Quand les vitraux dégouttent…

Le cimetière contigu forme un belvédère sur la chaîne pyrénéenne qui déroule, d’un horizon à l’autre, sa frise étincelante. Un motard est descendu de son engin pour prendre des photos. Il est vrai qu’aucun balcon des environs n’offre un aussi beau point de vue.

Belvédère pyrénéen

Les défunts oloronais ont bien de la chance, d’autant que leur cimetière est propre, aéré, spacieux, non pas gris et minéral à l’instar des nécropoles urbaines, mais pavé d’herbe que le printemps parsème de menues fleurs blanches. Un petit paradis.

À cet endroit, Pascale Guédot a établi un bâtiment remarquable, la médiathèque intercommunale du Piémont Oloronais. Elle lui a valu en 2010 l’équerre d’argent, la plus haute distinction française en architecture. Cette construction a la fois légère et posée, assise et aérienne, bordée sur trois côtés par une galerie qui permet d’en faire le tour au ras de l’eau, est une splendeur. C’était aussi l’avis de mon informateur.

Je range la médiathèque parmi ces créations, en petit nombre (le musée Guggenheim de Bilbao, l’opéra de Zaha Hadid à Canton…), à même de convertir les plus réactionnaires à l’architecture de notre temps. Pour un peu, ce bâtiment me convaincrait d’élire domicile à Oloron. Ce doit être un régal, de s’asseoir derrière les grandes baies vitrées pour y feuilleter des livres, l’oreille bercée au chant voisin de la rivière…

Oloron Eaux vives

Telle est l’emprise sur moi de la médiathèque et des jardins qui l’entourent que je m’attarde plus d’une heure à la jonction des gaves. Quand je m’éveille de cette petite hypnose, il est tard pour déjeuner. Dans un restaurant loin du centre, on me sert la dernière part de tarte, la dernière portion de gratin — généreuses, puisqu’elles finissent le plat. Le petit chien de la maison me tient compagnie, quémandant d’un air triste une obole comestible. Mais j’ai trop faim pour lui donner satisfaction.

En face du restaurant, un garage à courants d’air. Des lanières plastiques font rideau à deux mètres du sol. Sous la poussée du vent, ces laids rubans de pvc frottent les uns contre les autres, avec le crépitement très doux d’un feu de brindilles. Entre deux bouchées, je tends mon micro à cette curiosité acoustique.

Ici, chacun trouve chaussure à son pied

Il aurait été simple de boucler le tour d’Oloron par la nationale qui borde le centre-ville, et conduit si on la suit jusqu’au col du Somport et à l’Espagne. Rares sont les visiteurs qui vont au-delà. Rares aussi sont les gens qui lisent exhaustivement les étiquettes des fromages, ou soulèvent les galets pour en découvrir l’envers. J’appartiens à cette dernière minorité.

Aussi ai-je résolu d’allonger de plusieurs kilomètres ma marche oloronaise, non pour inspecter à fond son patrimoine ou ses monuments, mais pour aller à pied où tout le monde se rend en auto, et où ne rôde sûrement aucun touriste : dans la zone commerciale.

L’empire de la ligne et de l’angle droit

Sans surprise, les supermarchés oloronais obéissent au modèle universel du grand hangar de tôle porteur d’enseignes géantes. Non loin de là, pourtant, au voisinage d’un autre cimetière, un pavillon anonyme abrite une manufacture de bérets. J’y tourne un petit reportage, charmé par l’accueil des deux employés et par la sophistication, que je ne soupçonnais pas, du fameux couvre-chef circulaire : il faut pas moins de cinq machines et de huit opérations pour donner forme à ce drôle de chapeau. La laine est si habilement tricotée, remaillée, feutrée à l’eau, grattée et tondue qu’elle acquiert les qualités d’un tissu technique, entre autres l’imperméabilité.

Oloron Manufacture bérets

Les bérets forment avec le chocolat et les trains d’atterrissage les spécialités hétéroclites de l’économie locale. Je n’ai pas regardé de près comment l’on chaussait les avions, mais j’ai payé mon tribut gourmand aux mille déclinaisons du cacao, le temps d’une visite au magasin d’usine Lindt. Des quintaux de pralines, de tablettes, d’œufs et de lapins fondants chargent les tables bariolées. C’est le cauchemar des diabétiques, mais pour les autres un rêve enfantin qui prend corps. Cependant elle n’est pas si basse, la moyenne d’âge des clients qui font la file aux caisses, les bras chargés de confiseries.

Quand j’arrive à la gare, il est trop tard pour prendre le train de Bedous. Je m’y rends d’un coup de voiture, inquiet, si le temps se gâtait pendant la nuit, de perdre de vue les sommes ennuagés. Il paraît qu’une neige tardive est tombée sur le massif, jusqu’à soixante centimètres au pied des pistes. Ce doit être magnifique sous les feux du couchant.

En descendant de voiture, je sais qu’il faut faire vite. Je n’ai pas regardé le plan de Bedous, j’ignore l’heure qu’il est, mais le soleil frise déjà le relief. Mon ombre hérissée du micro et du pied photo balaie à toute allure les rues tranquilles.

Pause automobile à Lescun

Passée la dernière maison, se lève brusquement la montagne, non par le redressement graduel des alpages mais d’un coup, avec une raideur d’équerre plantée tout droit. Sur la route du retour, mes yeux délaissent parfois le goudron pour les hauteurs, la neige là-haut qui bleuit.

Le lendemain, comme annoncé, le temps est gris. La cellule de mon appareil se désole du peu de lumière. Dans le wagon du TER, je filme d’une main, je prends du son de l’autre pour capter l’atmosphère du voyage dans toutes ses composantes. Une atmosphère à la fois paisible, du fait de la propulsion électrique du convoi, et mouvementée à cause du relief qui s’accuse. Le train de deux voitures chemine parmi des montagnes de plus en plus hautes, dont les cimes maintenant se dérobent aux regards.

En toute saison, le TER est un relais utile vers la vallée d’Aspe, ses sentiers, ses aires d’envol de parapentes, ses villages lovés au pied des pentes. Vers ses chevaux aussi dont une robuste espèce locale attire les amateurs, vers ses milans qui peuplent les airs par centaines…

Oloron voyage en train

J’ai rendez-vous. Avec Myriam, une jeune femme venue des Cévennes pour installer ici, près de Bedous, un parc de jeux et de découvertes sensorielles très fréquenté, l’espace Ludopia. Je passe deux heures d’une visite enthousiaste à découvrir les activités qu’elle propose au public.

Un manège d’enfants actionné par un adulte à vélo, un parcours pieds nus sur des pavés de mousse ou de caoutchouc, un polyèdre en bois diffusant une vapeur tiède... Ces attractions démontrent une créativité folle, une invention à la fois tendre et burlesque. On les aime d’autant mieux, quand on sait la part des matériaux de récupération dans leur fabrication.

Oloron visite Ludopia

Je quitte Bedous lesté d’un double kilo de fromage, les cuisses à peine chaudes des onze kilomètres marchés la veille. Je prévoyais d’avaler debout les vingt-cinq jusqu’à Oloron, les cinquante-trois jusqu’à Pau, pourquoi pas la centaine jusqu’à l’océan basque ? Mais une averse cinglante, de celles qui chassent les passants dans les cafés, noie mes prétentions.

Il est temps de reprendre la route. Jusqu’à la prochaine fois.

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