L'écrivain-marcheur Olivier Bleys nous emmène à Angoulême pour une nouvelle exploration urbaine en Nouvelle-Aquitaine.
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© Olivier Bleys
Visiter Angoulême une semaine après la clôture du Festival de la Bande Dessinée (46e édition)... Quelle drôle d’idée ! D’un voyageur qui choisit cette date, on peut penser : il lui manque une case.
C’est bien au début du mois de février, pourtant, que Julie et moi abordons cette ville haut perchée, bâtie sur un promontoire dominant une boucle du fleuve Charente. On appelle parfois « balcon du sud-ouest » l’ancienne capitale de l’Angoumois. Si modeste soit l’altitude à laquelle se hissent ses vieux quartiers (80 mètres), elle n’en crée pas moins de jolis points de vue sur la campagne environnante. Nos ancêtres, eux, ont surtout vu l’intérêt militaire de cette position : difficile à prendre, la place forte d’Angoulême a subi de nombreux sièges, et parfois elle est tombée — ainsi en 507, quand Clovis en a chassé les Wisigoths.
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Tels des soldats de l’armée franque, nous voici au pied des remparts. La colline a beau ne pas monter très haut, la gravir arrondit les mollets. Son versant sur la Charente accueille un grand parc, le jardin vert. On peut s’élever jusqu’au sommet en suivant des sentiers en zigzag qui relient des kiosques, des bassins, une aire de jeux… Une enceinte de verdure doublant l’enceinte de pierres.
Un dernier effort, et nous nous hissons sur la muraille. Tous les dix mètres, le parapet moussu porte un réverbère, peut-être contemporain de l’aménagement du parc en 1860.
Le boulevard que nous rejoignons s’enroule autour de la ville, en changeant de nom : rempart du midi, rempart de Beaulieu, allée du Souvenir français… C’est moins une rue qu’un belvédère, avec une vue splendide sur la vallée de la Charente en contrebas.
Cette partie de la ville est la plus âgée, celle qui concentre vestiges et monuments. Nous avons lancé nos pas au hasard, et progressons par des rues étroites que le soleil hivernal peine à éclairer.
Ici et là, de petites places s’ouvrent entre les maisons, apportant l’air et la lumière. Elles sont plantées de marronniers ou de tilleuls, et font respirer le quartier. Ainsi la place Minage, sur le site d’une ancienne halle aux grains et aux poissons. Sa fontaine est ornée d’« angelots chevauchant des tritons » et de « chérubins serrant des épis de blés », en hommage au marché disparu.
Une autre place aux allures de promenade (de mail, dirait ma grande-tante toulousaine) a failli perdre des dizaines d’arbres malades. Heureusement, l’architecte des bâtiments de France s’est opposé à leur abattage. C’est la place New-York dont le nom perpétue le souvenir de Giovanni da Verrazano, un explorateur au service de François Ier. En 1524, ce dernier avait baptisé Nouvelle-Angoulême le site de l’actuelle métropole états-unienne.
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Tout près s’élèvent, presque voisins, l’ancien château comtal devenu hôtel-de-ville et les halles, sur l’emplacement d’une ancienne forteresse. Le dix-neuvième siècle a fortement remodelé la cité. Il faut s’engager dans les ruelles pour trouver les traces d’un passé plus lointain : par exemple l’hôtel Saint-Simon, datant de la Renaissance.
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Parcourir à pied Angoulême, c’est feuilleter un livre d’images. Depuis presque un demi-siècle que s’y tient, chaque année, le plus important festival de bande dessinée francophone, la ville s’est identifiée à la manifestation qui fait sa renommée.
On peut dire, sans exagérer, qu’elle fait corps avec le neuvième art. Au fil des années, les murs d’Angoulême se sont couverts de fresques monumentales commandées à de grands artistes de bandes dessinées, souvent lauréats du Grand Prix du Festival. Entre autres François Schuiten, Frank Margerin et Nicolas de Crécy ont illustré des façades d’immeubles et de maisons.
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Mais la dévotion d’Angoulême pour la bd va bien au-delà de cet affichage géant. Vraie capitale du dessin, la ville s’est peuplée d’écoles et d’institutions spécialisées. Elle accueille ainsi la Cité Internationale de la bd et de l’image, un pôle ressource abritant une maison des auteurs, un musée de la bd, une librairie, un cinéma, un centre de documentation…
Alpha, médiathèque du Grand Angoulême, détient l’un plus riches fonds de bandes dessinées du pays, soit 18 000 volumes. Et l’on pourrait ranger dans la même catégorie, celle des institutions bédéphiles, le Musée du Papier Le Nil installé dans les anciennes papeteries Joseph Bardou, en bord de Charente. Ce bâtiment-pont à l’architecture insolite jouxte l’école européenne supérieure de l’image (eesi), l’un des seuls établissements français à proposer un master Bande dessinée en partenariat avec l’université de Poitiers.
Ces nombreux équipements liés à l’image expliquent la concentration, elle aussi très forte, d’ateliers et d’artistes visuels dans la ville. Cela se voit à l’œil nu : à chaque coin de rue ou presque, des créations plastiques accrochent le regard du promeneur. Certaines sont des commandes publiques, tel ce buste d’Hergé dans une rue piétonne. D’autres sont l’expression de talents spontanés. Parfois, il est difficile de démêler les deux. Une chose est sûre : les murs gris et vides ne sont pas du goût des Angoumoisins.
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Justement, nous avons rendez-vous avec un couple d’artistes qui ont choisi Angoulême comme lieu de travail et de résidence. Audrey est graveuse et lithographe, dessinatrice à ses heures. Geoffroy est sérigraphe, et manie aussi le crayon.
Ensemble, ils ont quitté l’est de la France pour ouvrir ici, en Charente, un "atelier d’impression artisanale au service de l’image contemporaine" : logé dans une ancienne brasserie, l’atelier du bouc imprime à la demande selon des méthodes traditionnelles, anime des ateliers, dispense des formations et prévoit bientôt d’éditer des livres. Les commandes émanent d’associations ou d’institutions angoumoisines, parfois des graphistes eux-mêmes.
L'Atelier du Bouc
Lorsqu’ils ont commencé leur activité, Geoffroy et Audrey ne pensaient pas s’installer aussi vite. Mais le terreau était riche, et la greffe a bien pris.
Nous avons droit à une démonstration de sérigraphie. J’ignorais que cette technique d’impression fût si bruyante. On croit que le calme des bibliothèques, le silence des lecteurs s’étendent à toute la chaîne du livre — on a tort.
À Angoulême, les jeunes artistes de l’image semblent apprécier le voisinage de l’eau. Si l’atelier du bouc a choisi les hauteurs du Champ de Mars, là où se déploient fin janvier les chapiteaux du festival de bd, les étudiants fréquentent plutôt les rives de la Charente et les abords de l’île Marquet, proche de l’eesi déjà citée.
En cette saison, celle de la nidification des oiseaux, l’île est fermée aux promeneurs. Cependant, en enjambant la passerelle qui franchit la Charente, on peut rejoindre les berges du fleuve et marcher sur l’ancien chemin de halage.
Avant l’arrivée du train, ce chemin servait aux attelages qui tiraient les gabares, des bateaux à fond plat, lourdement chargés de papier, de pierres ou d’eau-de-vie. Aujourd’hui, le même sentier à fleur d’eau progresse vers l’aval, vers la confluence de la Charente et de la Touvre.
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Le printemps est loin, et la végétation des berges paraît bien maigre. Aucune fleur n’a encore percé la terre humide. En revanche, chez le fleuriste où nous avons rendez-vous, ce sont des brassées de roses qui sont livrées chaque jour à l’approche de la Saint-Valentin.
À fleur de pot : on ne pouvait imaginer meilleure enseigne pour cette boutique toute en longueur, havre de paix et de sensualité dans la bruyante rue de Saintes. Le fleuriste, Ludovic Poulard, fait commerce de végétaux mais aussi de bougies, de vases, d’objets de décoration. Sa récente promotion au rang de « maître artisan en métier d’art » couronne un long parcours professionnel, initié dès l’enfance.
A fleur de pot
Tout en composant d’une main agile des dizaines de bouquets pour la fête des amoureux, Ludovic nous raconte son métier. L’occasion pour nous d’avoir des nouvelles d’un milieu méconnu. Nous apprenons ainsi le retour de la fleur séchée, naguère passée de mode et qui revient sur les étalages.
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Quitter la boutique de Ludovic, c’est s’éloigner d’une forêt luxuriante. À l’heure de la sortie des bureaux, la circulation fait rage rue de Saintes. Cette voie très fréquentée coupe heureusement un circuit pédestre : le Périph’vert, une boucle d’une vingtaine de kilomètres autour d’Angoulême. Nous n’avons que quelques pas à marcher pour rallier le fleuve et son sentier mouillé.
Au nord de la ville, la Charente a deux bras. Le premier, très étroit, voit ses eaux accélérer entre des rives pentues. C’est un terrain de jeu idéal pour les kayakistes, qui ont pendu en travers leurs piquets colorés et remontent le courant à grands coups de pagaies.
L’autre bras du fleuve va lui en s’élargissant. Les piétons sont alors rejoints par les vélos. Sur l’eau, les canots adoptent une allure moins sportive. Ils croisent la route d’avirons effilés, de petits hors-bords et d’une population assez fournie d’oiseaux aquatiques.
Quand on marche comme nous, sans regarder la montre, les ombres donnent une bonne indication de l’heure. Voici un moment déjà que les nôtres s’allongent. Nous les suivons du coin de l’œil, pressant l’allure pour boucler le circuit avant la nuit.
Mon ombre, j’en prends l’image une dernière fois sur la porte à ferronnerie de la cathédrale Saint-Pierre. Un incendie s’allume dans toute la ville. C’est du moins l’impression visuelle qu’ont créée, depuis un moment, les rayons obliques du soleil.
© Olivier Bleys
Sur le chemin du retour, nous longeons le vieux couvent des Cordeliers. Les bâtiments primitifs ont en partie disparu. Il subsiste une chapelle dont la flèche, rougie par le couchant, paraît brûler comme une bougie. Que pointe-t-elle, cette aiguille de pierre et de feu ? Pour nous, le dernier des douze kilomètres marchés à Angoulême.
© Olivier Bleys
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