Un homme effacé ? sans doute. Et pourtant, pendant deux décennies, Pierre Magne eut la confiance de Napoléon III. Un homme discret ? Sûrement aussi, aimant sa famille et ses amis. Un homme de province en tout cas, périgourdin, comme Rouher était auvergnat ou Mocquart bordelais.
Comme si l’empereur, qui connaissait si peu la France au moment où il fut élu président de la République en décembre 1848, avait voulu s’entourer d’hommes du terroir. Et la Dordogne, Pierre Magne en est l’émanation. Ce fils d’artisans modestes de la banlieue de Périgueux, qui travaille pour financer ses études de droit, est le symbole de la réussite de ces classes moyennes chères à Gambetta. Député, conseiller général, président du conseil général de Dordogne, il sait l’importance d’une implantation solide, une base sur laquelle on s’appuie pour faire carrière à Paris, mais aussi une base sur laquelle on se replie quand le vent est mauvais…
Fidèle de Louis-Napoléon Bonaparte
S’il sert bien des régimes différents – la monarchie de Juillet, la deuxième République, le second empire, la troisième République – il est fondamentalement fidèle à un homme, ce Louis-Napoléon dont il fait connaissance en novembre 1849. Pur produit de la méritocratie, Magne a su tirer profit de quelques rencontres. C’est sans doute sa proximité avec Bugeaud qui explique sa nomination au poste de sous-secrétaire d’Etat à la guerre, chargé de l’Algérie (il sera un des premiers à glorifier « l’Algérie française » comme devait le faire une centaine d’années plus tard un autre homme du Périgord, Robert Lacoste). C’est à sa proximité avec Achille Fould – ils furent tous les deux, jeunes députés, à la commission des finances de l’Assemblée en 1847 – qu’il doit de rentrer dans le gouvernement nommé par celui que l’on appelle « le prince-président ». Mais c’est à son travail acharné qu’il doit d’être pendant des années le ministre des Finances de Napoléon III, même si son « ami » Achille Fould devait lui prendre ce poste de 1861 à 1867– « mon Dieu gardez moi de mes amis » comme disait Voltaire…
Lanceur d’emprunts
Il a bien du mal à remplir son rôle de responsable des finances. Non que ses capacités soient en jeu, mais comment faire pour couvrir tous les besoins de ce règne si brillant, mais si dépensier ? Comment assurer les dépenses des guerres ? La fameuse phrase du prince-président à Bordeaux – l’Empire c’est la paix - a été bien vite oubliée : il faut soutenir l’unité italienne, tenter de mettre un prince autrichien à la tête du Mexique. Il faut aussi assurer les dépenses de deux Expositions universelles, celle de 1855 celle de 1867 qui font de la France la capitale de l’Europe, au son des airs d’Offenbach. Alors il lance des emprunts, à rendement garanti. Et, confiante, la petite bourgeoisie française souscrit sûre d’un revenu fixe. La France devient un pays de rentiers.
Après la chute de l’Empire
Cet honnête homme est un homme d’ordre. L’Empire autoritaire lui convient, bien plus que l’Empire libéral ou, encore pire pour lui, l’Empire parlementaire. Mais réélu député en 1871, après la chute de l’Empire et la défaite de la France, il se plie aux usages de la IIIe République naissante et, quand Mac Mahon souhaite un gouvernement regroupant les monarchistes et les bonapartistes, il accepte la proposition de représenter ces derniers, sous la présidence du conseil de Broglie et de Cissey. Il le reste pendant plus d’un an et demi. Puis, en vrai notable, il revient en Dordogne où il garde la présidence du conseil général, et au Sénat, où il termine sa carrière.
Réhabiliter le château de Montaigne
Mais on ne peut évoquer Pierre Magne sans parler du château de Montaigne. Depuis le début du XIX° siècle le château a changé de mains. Il est dans un état déplorable, tant les bâtiments eux-mêmes que la fameuse tour, abandonnée, transformée en grange où l’on entasse le foin. Pourquoi, en 1860, au faîte de sa carrière, Pierre Magne l’achète-t-il ? Pourquoi consacre-t-il une partie de sa fortune à le réhabiliter, le transformer, l’aménager pour le rendre confortable, tout en gardant son caractère ? Pourquoi fait-il nettoyer la tour, reprendre une à une les quarante-neuf fameuses maximes que Montaigne avait inscrites sur les poutres ? Les a-t-il lues ? En tout cas, il a un rêve secret. On le sait, l’empereur ne dédaigne pas de s’arrêter chez ses ministres ou ses collaborateurs. Il a rendu visite à deux reprises à Fould, dans sa splendide villa de Tarbes. Il est allé à Cestas, chez le baron Haussmann. Il s’est déplacé deux fois à Arcachon, voir les Pereire. Alors Pierre Magne espère. Mais son espoir est déçu. Car jamais l’empereur n’est venu au château de Montaigne rendre visite à Pierre Magne.
Pierre Brana, Historien, écrivain. Homme politique, il fut maire d’Eysines et député de la Gironde.
Joëlle Dusseau, Inspectrice générale honoraire de l’éducation nationale. Elle est agrégée d’histoire et docteur ès lettres. Ancienne sénatrice de la Gironde.