Le collectif d’artistes, artisans d’art et designers Le carré bouge réutilise bois, métal et tissus pour créer objets, vêtements ou œuvres, beaux et insolites. Il appelle à une prise de conscience massive des trésors cachés dans nos déchets.
Réemployer et créer
Bouquets, arbres et animaux de métal, mobilier design ou steam punk, lampes, vêtements et tableaux…le show-room du Carré bouge est un beau reflet du travail composite du collectif. Les objets obéissent tous à la même démarche : l’upcycling, traduisez par « surcyclage ». « Nous sommes tous des artisans, artisans d’art ou designer et nous transformons les matériaux de recyclage en objet ou œuvre » explique Boris Le Floch, président de l’association qui joue souvent les porte-paroles. Leur série des chaises transformables, par exemple, provient d’un appel d’offres que le collectif a remporté. Ces chaises de bar en métal et bois possèdent une assise entièrement amovible qui peut se fixer à différentes hauteurs pour les transformer en mange-debout. Les trois-quarts des matériaux utilisés dans leur fabrication proviennent du réemploi, le dernier quart est un contreplaqué déclassé voué à la destruction.
Calitorama
Les chaises sont partie intégrante de l’appel à projet Calitorama lancé par le syndicat de déchets Calitom, un bâtiment entier consacré à l’économie circulaire, lieu pilote de la déchetterie de Chateaubernard en Charente. Dans cette déchetterie, un espace de réemploi et d’ateliers a été construit avec une cuisine, une salle informatique équipée d’une imprimante 3D et des ateliers de réparation. « Il fallait concevoir le mobilier pour accueillir le public, les activités et le matériel. » Le collectif, qui a emporté l’appel à projets, livre ainsi 30 chaises réglables, 3 modulo-box (cuisine, atelier, vestiaire) 100% recyclables - et donc destructibles - et différents autres éléments…6 mois de travail ! Le syndicat de déchets, satisfait, projette de généraliser ce site pilote dans tout le département. « Calitorama montre que mener des projets d’envergure en réemploi pour une collectivité, c’est possible » se félicite Boris.
Une matière infinie
Avec l'aide de la Région , le collectif a installé ses ateliers sur l’immense friche du camp militaire américain de La Braconne à Mornac. Le syndicat de déchet qui gère le site veut en faire un éco-campus. A quelques centaines de mètres de là, le site de traitement Atrion traite 43 000 tonnes de déchets par an et celui Suez gère les déchets industriels de tout le département. « Notre matière est infinie » constate Emmanuel en mettant la dernière touche à un arbre à son à livrer à la ville de Cognac pour l’aménagement d’un parc. Chaque partie de l’arbre imaginé par le créateur, métal et bois mêlés, produit un son différent. Il sera en libre accès avec un ensemble de mobilier en bois massif.
« Nous n’en sommes qu’aux débuts » constate Boris. L’activité du collectif se situe entre la recyclerie et le recyclage. « On ne fait ni l’un ni l’autre. On revalorise l’existant pour créer une pièce unique ou une série. Notre travail, c’est le design inversé. On crée l’objet à partir de la matière qui arrive à nous. Tout ce que vous voyez dans le show-room a été considéré à un moment comme un déchet. »
L'appel à une prise de conscience
Les déchets réguliers des entreprises sont également une manne pour les créateurs. Avec une chute de hêtre issue de la fabrication des pieds des baby-foot du charentais Olivier Sulpy, Boris produit des guéridons. « Lorsqu’il usine son pied, le bois laisse toujours la même forme arrondie, parfaite pour un pied de guéridon. ». Les dessins du guéridon sont faits. Aujourd’hui produit à l’unité, il pourrait être usiné en série par un industriel, ce qui le rendrait plus abordable.
Toutes les 48h, la matière est renouvelée chez Suez ou Véolia. Les sites de recyclage sont gigantesques. « L’utilisation responsable de la matière et le réemploi, les pays pauvres l’ont fait par nécessité, par pénurie. Nous, nous pouvons le faire par choix…avant la pénurie. » C’est pourquoi le collectif en appelle à une prise de conscience générale sur le gaspillage. Il propose de faire entrer les notions de réemploi dans les cursus de formation de chaudronnier ou de menuisier « mais aussi de sensibiliser les jeunes sur les bacs de déchets en leur montrant que « ce n’est pas du déchet mais de la matière. Un morceau de bois massif, par exemple, ne devrait jamais finir à la déchetterie. » Et d’imaginer un rayon upcycling dans les grandes enseignes d’ameublement, « de la même façon qu’il y a aujourd’hui un rayon bio dans tous les supermarchés. On veut savoir ce qu’on mange, on pourrait aussi vouloir savoir d’où viennent nos objets et comment ils sont fabriqués. » Le collectif s’emploie à soigneusement choisir les produits qu’il utilise, « ce qui n’est pas le cas des colles et résines utilisées par l’industrie. L’air est plus pollué en intérieur qu’à l’extérieur, ce n’est pas normal » assène Boris.
Démultiplier les actions
L’an dernier, le collectif a porté un projet pilote d’animation avec une classe du collège de Saint-Amand de Boixe. Après différentes sessions de sensibilisation et visites, la classe a créé les « recyclomonstres », des sculptures en matériaux de réemploi. Sur l’année 2019-2020, il interviendra sur une journée zéro déchet. Outre les visites de sites de recyclage, les élèves seront invités à trouver un projet pour améliorer leur contexte de vie scolaire en incluant une part d’upcycling.
Pour amplifier son travail de sensibilisation, il prévoit l’organisation de journées fablabs pour les particuliers payable en monnaie locale et des ateliers de fabrication d’objets qu’il organise déjà en entreprise. Les créateurs du collectif sont sollicités par des particuliers et ou professionnels pour des créations à la demande. Une décothèque, mise à disposition d’objets upcyclées devrait aussi voir le jour…Bref, les idées ne manquent pas. « La matière se renouvelle en permanence. Les seules barrières seront toujours celles qu’on se donne » conclut Boris.