Plus d’un demi-siècle après sa mort, que ne connaît-on pas de François Mauriac ? Sans doute est-il légitime de se poser cette question. L’essentiel est connu, en effet. Pour autant, son œuvre est d’une telle ampleur qu’elle demeure une source féconde d’inspirations et de recherches sans parler de plaisirs de lecture. Quant au destin de l’homme, il ne cesse de prendre des reliefs inédits selon le regard que l’on pose sur lui. Bref, François Mauriac reste toujours à découvrir.
Philippe Dazet-Brun s’est attaché à montrer ici que la vie de François Mauriac est résolument placée sous le signe de la jeunesse. Celle qui ne se satisfait jamais du convenu, de l’injustice et des entraves à la liberté. Considérer de la sorte ce destin, c’est d’emblée revenir sur ses premières années girondines. En dépit de l’uniformité de son milieu, Mauriac se forgea un caractère au cœur de la mosaïque des influences familiales contradictoires. Le génie mauriacien tient à ce qu’il ne les opposa pas. Il les amalgama, au contraire, pour n’imiter aucun des siens, affirmant ainsi un esprit singulier, observateur d’abord, puis questionneur et critique. Lui vint alors l’audace de tenter sa chance à Paris. Témérité de jeunesse que beaucoup de ses congénères de la bourgeoisie bordelaise n’eurent pas.
Le roman mauriacien
Il fallait bien encore de l’entrain, voire quelque fougue, pour rêver d’une carrière littéraire et espérer se faire un nom. Il y réussit. Enhardi par le soutien de Maurice Barrès et par une reconnaissance croissante, il fut finalement conforté dans l’idée qu’il ne s’était point trompé : jeunesse d’un ambitieux à qui la fortune souriait. Son œuvre trouvait un public tout en suscitant des réserves de ceux qui y repéraient des hardiesses dans la relation de la noirceur humaine. Bref, le roman mauriacien s’imposait. L’Académie Française ne le manqua pas. Elle couronna Le Désert de l’amour et fit de son auteur l’un des siens ; voici donc, en 1933, Mauriac jeune académicien de 47 ans ! Au même moment, le journaliste – qui donnait déjà quelques articles çà et là – se mêla plus encore de politique. On le vit se dresser contre les entreprises totalitaires qui écrasaient ici les Éthiopiens, là les Basques.
Guerre de plume
Après la Seconde Guerre mondiale, dont il sortit avec le bénéfice d’avoir été une voix de la Résistance, il n’eut de cesse que la France ne se déshonorât pas dans sa politique coloniale en Afrique du Nord. Dans tous ces combats, il y manifestait une jeunesse d’esprit, une sincérité, ne reculant jamais devant une guerre de plume comme, lors de l’épuration avec Camus ou lors des débuts de la guerre froide, avec l’éditorialiste de L’Humanité. Il faisait preuve surtout de courage, à courir le risque de n’être pas compris de son milieu et de lutter à rebours des conservatismes. Son compagnonnage avec L’Express et son soutien à Pierre Mendès France, au mitan des années 1950, en dit long sur un homme qui bravait beaucoup d’incompréhensions, voire de haines, accumulées depuis vingt-cinq ans. Rien ne sembla amoindrir sa combativité, pas même les honneurs comme le prix Nobel de littérature reçu en 1952.
Attention à la jeunesse
L’œuvre romanesque ainsi récompensée s’était enrichie d’essais, de recueils de poèmes, de pièces de théâtre, de biographies et se poursuivait en même temps que Mauriac donnait chaque semaine son « Bloc-notes » à la presse. Avec ce dernier, il inventait – à près de 70 ans – un style journalistique qui ne dépendait pas du seul brio de l’écrivain, mais aussi d’un regard tout à la fois jeté à l’entour et plongé dans une intériorité dont Mauriac ne cachait pas la nature chrétienne. Et toujours, chez lui, cette attention à la jeunesse dont il s’entourait volontiers dans ses engagements, y compris dans l’Église avec l’Action catholique spécialisée, les prêtres-ouvriers ou lors des pèlerinages à Chartres. Ce fut encore sa préoccupation en 1968 d’alerter le général de Gaulle – dont il était devenu un thuriféraire – qu’un peuple ne peut se couper de sa jeunesse, qu’il faut lui tendre la main.
François Mauriac vécut dans un siècle battu par les vents les plus violents de l’Histoire et dont on ressent encore les bourrasques ; il fut aussi le témoin d’une métamorphose du monde dont on peut souffrir aujourd’hui des effets. En cela, Mauriac reste notre contemporain. Sa voix demeure actuelle à bien des égards. Le temps ne semble pas avoir atteint ce qui était promis à la jeunesse.
Philippe Dazet-Brun est professeur d’histoire contemporaine à l’Institut catholique de Toulouse, membre de l’équipe de recherche CERES, du Centre François-Mauriac de l’Université Bordeaux Montaigne et de la Société internationale des études mauriaciennes.
Il est l’un des grands spécialistes français de François Mauriac notamment sur le champs de la spiritualité.